Spécialiste de l’énergie chez EY, Jérémie Haddad nous livre sa vision de l’évolution du secteur dans les années et les décennies à venir. La décarbonation comme leitmotiv !
En 2023, la crise énergétique, que le conflit en Ukraine avait provoquée, s’est apaisée. Pour quelles raisons ?
Jérémie Haddad : Tout simplement parce que les problèmes qui ont causé cette crise ont presque tous trouvé des solutions, au moins à court terme. Prenons le cas de la France. Les difficultés d’approvisionnements en gaz ? Elle a su réduire sa dépendance au gaz russe en préemptant des achats de GNL (Gaz Naturel Liquéfié) auprès d’autres pays producteurs comme le Qatar ou les États-Unis. Les tensions inflationnistes alimentées par la forte reprise post-Covid ? La remontée des taux d’intérêts de la BCE et l’essoufflement de la croissance ont favorisé le rééquilibrage de l’offre et de la demande, notamment dans le secteur de l’énergie. Les difficultés du parc nucléaire français liées aux phénomènes de corrosion sous contraintes qui ont frappé un certain nombre de nos centrales en 2023 ? EDF est parvenu à les résoudre, comme elle a su rattraper les retards en matière de maintenance pris lors de la pandémie entre 2020 et 2021.
« Je ne crois pas à une Europe industrielle de l’énergie »
Comment voyez-vous la situation évoluer dans les trois à cinq ans à venir ?
Jérémie Haddad : Avant de répondre, il faut afficher une certaine prudence. En clair, la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Plusieurs exemples : nos centrales nucléaires nécessiteront encore des visites décennales à l’avenir et il est possible (et en fait souhaitable) que la consommation d’électricité en France augmente de façon significative pour nous passer d’énergies fossiles (voitures électriques, pompes à chaleur, électrification industrielle…). Nous ne sommes donc pas à l’abri de futures nouvelles tensions sur le marché de l’électricité. Après, que ce soit pour la France ou pour les autres pays, il reste à concilier la prédiction simplement comptable en matière de production et de consommation, avec la prospective qui, elle, tient compte des immenses enjeux que recouvrent la transition énergétique. Je m’explique : on sait ce qu’il faut faire mais il y a encore de nombreux points d’interrogation : aura-t-on les financements pour accélérer les rénovations énergétiques ? Disposera-t-on des talents nécessaires pour accélérer cette transition (artisans, soudeurs, techniciens…) ? Relancer le nucléaire, moderniser les réseaux de distribution, former la main-d’oeuvre prend du temps et nécessite des moyens énormes.
Dans ce contexte, l’Europe est-elle la solution ?
Jérémie Haddad : Son rôle est essentiel pour inventer des cadres communs capables de faire décoller la finance verte en attirant plus d’investisseurs, pour créer un véritable marché européen des capitaux. L’Europe doit aussi être là pour orienter les investissements vers ceux qui nous feront gagner la lutte contre le réchauffement climatique (certains parlent d’un taux d’intérêt « Vert » le plus bas possible).
En revanche, je ne crois pas à une Europe industrielle de l’énergie. Les besoins, les ressources, les intérêts ne sont pas assez convergents. Il n’y a pas de bonne solution commune dans ce domaine. Sur le nucléaire par exemple, je ne vois pas la France et l’Allemagne réconcilier leurs points de vue. Enfin, il ne faut pas oublier un point très important : contrairement aux capitaux ou aux taxes, l’énergie n’est pas immatérielle. Il y a derrière des électrons ou des molécules à produire et à transporter : autant de contraintes physiques qui ne disparaîtront pas de sitôt.
Et à plus long terme ? La France peut-elle raisonnablement envisager de maitriser ses approvisionnements en énergie, à des coûts supportables pour les ménages et les entreprises ? En d’autres termes, la transition vers une énergie décarbonée est-elle envisageable ou un vœu pieux ?
Jérémie Haddad : J’y crois, à condition que l’on réussisse à actionner les leviers nécessaires.
C’est-à-dire ?
Jérémie Haddad : D’abord il faut avoir une vision holistique et se concentrer sur les priorités : où sont les plus gros gisements de consommation d’énergie carbonée et comment les remplacer ? Ensuite, il faut tendre vers les solutions les plus efficaces d’un point de vue technico-économique : fermer une centrale nucléaire par exemple, n’a pas beaucoup de sens. Faire de la hype autour de la voiture à hydrogène, probablement pas non plus. Et enfin, il faut s’organiser pour trouver les solutions à grande échelle : flécher les financements vers des solutions décarbonées, former la main-d’œuvre ad-hoc pour que les logements, les bureaux, les usines soient plus économes, plus efficaces sur le plan énergétique, ouvrir des universités des métiers de la transition énergétique, notamment celui de soudeur.
« Il faudra bien sûr également investir dans les renouvelables »
Vous parliez de meilleures solutions technico-économiques, quelles sont-elles ?
Jérémie Haddad : Elles dépendent beaucoup de l’histoire et du contexte de chaque pays européen. Mais en France par exemple, qui a une longue tradition d’énergie nucléaire, ainsi que des champions du domaine sur son territoire (EDF, Framatome, Orano, CEA, …), il faut évidemment prolonger la durée de vie des centrales existantes et même intensifier les efforts dans le nouveau nucléaire d’ici 2040-2060, lorsque les centrales actuelles deviendront obsolètes. Sachant que la consommation d’électricité risque d’augmenter, c’est de beaucoup plus que six nouveaux réacteurs dont nous aurons besoin. La volonté du gouvernement d’augmenter le nombre d’EPR [evolutionnary power reactor] et de développer des SMR [small modular reactor] est de ce point de vue une excellente nouvelle. Mais il faut revoir nos ambitions à la hausse et surtout, que les promesses se concrétisent. Sinon, il faudra reporter la fin des énergies carbonées. Il faudra bien sûr également investir dans les renouvelables et dans les réseaux. Les deux sont parfaitement indissociables. Ne perdons en effet pas de vue que si la production d’énergie renouvelable est certes moins coûteuse en investissement que celle de combustibles fossiles peu onéreuse, elle est aussi intermittente, ce qui pose au-delà d’un certain seuil, des problèmes pour les réseaux électriques, qui n’ont pas été conçus pour cela. Il faut donc investir massivement dans nos réseaux pour optimiser la production et la distribution d’électricité, en améliorant le stockage et en réduisant les pertes en ligne lors des échanges longue distance.
La fusion nucléaire, vous y croyez ?
Jérémie Haddad : Tout à fait. Mais il reste à savoir quand nous serons capables de maitriser cette technologie. Dans dix ans ? Dans trente ans ? Dans un siècle ? Personne ne le sait mais on sait que ce n’est pas pour demain. Ceci étant dit, comme l’aéronautique et le spatial dans les années 50-60, le secteur bancaire dans les années 90, Internet et les télécoms dans les années 2000, la fusion nucléaire est désormais le secteur qui attire les talents les plus prometteurs. Beaucoup d’investisseurs aujourd’hui font le pari de la fusion, notamment dans la Silicon Valley, où on retrouver dans le secteur de la fusion, les talents précédemment actifs chez Tesla ou Space X. On peut donc espérer que ses efforts paieront plus vite que prévu.
Engagée pour la transition énergétique, je me consacre à l’exploration des opportunités offertes par l’énergie solaire et à son évolution. J’accompagne les professionnels du secteur et favorise les collaborations pour accélérer l’adoption de solutions durables et innovantes.
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