L’effondrement du prix des modules en 2023 a alimenté les spéculations concernant la quantité exacte de matériel photovoltaïque conservé dans les entrepôts européens. La quantité de stock varie en effet suivant les sources. Le secteur du solaire peut clairement mieux faire en matière de collecte et de partage des données.D’après pv magazine International
Il se passe quelque chose d’étrange avec les données du marché photovoltaïque. En juillet 2023, Rystad Energy a pour la première fois pointé du doigt les lacunes dans notre connaissance du stock de modules en Europe, mais les chiffres avancés ont vraisemblablement été surestimés. Alors, qu’en est-il ? Avant de nous plonger dans les chiffres, il convient de nuancer les faits et d’avoir bien conscience que le secteur mondial du PV n’en est encore qu’à ses débuts, notamment en matière d’accessibilité et de fiabilité des données de marché.
Pendant des années, d’importants écarts ont été constatés entre les chiffres des exportations de PV de la Chine vers l’Europe et ceux portant sur les installations de PV, fournis par les organismes gouvernementaux et les sociétés d’études de marché. Ainsi, en 2022, environ 86 GW de modules ont été importés en Europe. Pourtant, 42 GW seulement ont été installés la même année. Comment expliquer un tel écart ?
Cela s’explique en partie par la différence entre les installations réalisées au sein de l’Union européennes et celles effectuées hors UE, par exemple en Russie, en Ukraine, en Suisse, en Norvège et au Royaume-Uni. Toutefois, si l’on compare les chiffres, cela représente moins de 10 % de la différence entre les approvisionnements dans l’Union européenne et les installations déclarées. Une autre partie de cet écart peut avoir pour origine la combinaison entre des modules provenant de l’équipementier et le stock conservé sur un marché en pleine croissance, comme le fait remarquer Karl-Heinz Remmers, vétéran de l’industrie photovoltaïque et fondateur de pv magazine, dans son analyse de marché en ligne.
D’après ce dernier, des niveaux de stock normaux comprendraient deux à trois mois d’approvisionnement en modules solaires. Pour 2022, cela aurait été l’équivalent d’environ 8 GW, ou à peine plus sur un marché en pleine croissance.
En réalité, les distributeurs avaient déjà augmenté leurs stocks de manière considérable, notamment à la suite du désordre logistique causé par l’obstruction du canal de Suez en 2021 et le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. S’en est suivie une ruée vers les entrepôts, y compris de la part des fabricants qui conservaient des stocks, souvent dans les ports. La grande question est donc de savoir où se trouve le stock excédentaire auquel Rystad Energy fait allusion.
Chiffres imaginaires
La réponse tient en quelques mots : ce stock n’existe pas. Les spécialistes savent très bien que l’explication la plus probable à cet écart entre les importations de Chine et les chiffres officiels est que les installations de PV ne sont pas toutes déclarées.
Prenons l’exemple des Pays-Bas, où on estime qu’en 2022, 4 GW de capacité de PV y ont été installés. Publié début 2023, il s’agit d’un chiffre provisoire fourni par l’institut national de statistique des Pays-Bas. Un chiffre révisé est généralement publié 18 mois plus tard par l’institut, de nouvelles données venant corriger le chiffre annoncé initialement.
Importations de PV dans le port de Rotterdam, en valeur (milliards d’euros). Image : Port of Rotterdam Authority
Tel est le processus suivi aux Pays-Bas, un pays à forte densité de population doté d’une administration sophistiquée. Si, même aux Pays-Bas, toutes les installations ne sont pas consignées, imaginez ce qu’il en est dans la plupart des autres pays du monde.
La capacité réellement installée est plus élevée que ce que laissent penser les chiffres officiels. Et pourtant, la plupart des sociétés d’études de marché continuent de s’appuyer essentiellement sur ces derniers, à l’instar des associations professionnelles nationales de solaire. Si l’écart entre les importations et les chiffres officiels, qu’ils soient fournis par les gouvernements ou les sociétés d’études de marché, s’explique en partie par les notifications dans l’UE27 et hors UE27, les importations des équipementiers et la constitution de stocks sur un marché en croissante, il est en réalité dû principalement à l’absence d’enregistrement des installations.
Importations européennes
En 2022, des données provenant des douanes néerlandaises indiquaient que 45 % des importations de PV en Europe transitaient par le port de Rotterdam, soit l’équivalent de 11,6 milliards d’euros au total, en hausse par rapport aux 5,1 milliards d’euros de l’année précédente (voir graphique). Au premier semestre 2023, la valeur totale des importations atteignait 6,1 milliards d’euros, soit moins qu’au deuxième semestre 2023, mais plus qu’au premier semestre 2022.
Le secteur du PV doit maintenant donner un coup d’accélérateur. Alors que le solaire est d’ores et déjà considéré comme la principale solution au changement climatique, aux côtés de l’énergie éolienne, et qu’un article publié le 17 octobre dans Nature Communications concluait que nous pourrions déjà avoir dépassé le point de basculement à compter duquel l’énergie solaire vient à dominer les marchés mondiaux de l’électricité, le temps de la collaboration est arrivé en vue d’exploiter pleinement le potentiel du secteur du PV.
Si tous les fabricants et distributeurs partageaient leurs données avec un analyste indépendant ou un organisme de recherche sur une base mensuelle, une étape importante serait franchie. C’est une pratique courante dans d’autres secteurs, afin de fournir à tous les acteurs une meilleur vision d’ensemble sur les parts de marché, les tendances et les prévisions, et de réduire les risques pour le marché dans son ensemble.
À propos de l’auteur : Rolf Heynen est entrepreneur, écrivain, conférencier et analyste indépendant du marché solaire.
Traduction assurée par Christelle Taureau.
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