La souveraineté énergétique de la France se construit dans ses territoires



Par Raphaël Goerens, Directeur des salons Open Energies et Expobiogaz.

Alors que la France attend avec impatience la publication de sa nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), un constat s’impose : la transition énergétique est déjà à l’œuvre, non pas depuis un scénario national unique, mais depuis l’action concrète des régions, des collectivités et des acteurs locaux. Le défi n’est plus de trouver la solution miracle, mais d’accompagner et de fédérer cette mosaïque d’initiatives pour en faire un atout de souveraineté.

Le paradoxe français : un cadre national en attente, des territoires en mouvement

La France fait face à un paradoxe énergétique. D’un côté, la Stratégie Française pour l’Énergie et le Climat (SFEC) et la PPE, outils essentiels pour donner une visibilité à long terme aux investisseurs, tardent à offrir un cadre stable. De l’autre, sur le terrain, les projets se multiplient, les innovations émergent et les solutions adaptées aux spécificités locales démontrent leur efficacité. Cette dynamique prouve qu’une vision monolithique et centralisée de la transition est une impasse stratégique.

Les réalités sont par nature diverses : le potentiel solaire du Sud n’est pas celui de la Bretagne, les ressources en biomasse varient d’une région agricole à l’autre, et les besoins industriels ou les capacités des réseaux sont singuliers. Imposer un modèle unique reviendrait à ignorer ces richesses et ces contraintes locales. L’urgence est donc de transformer la PPE en un cadre facilitateur et sécurisant, et non en un carcan doctrinal.

Le biogaz, preuve par l’exemple d’une transition ancrée localement

La filière du biogaz, et notamment du biométhane, illustre parfaitement comment une énergie renouvelable peut prospérer lorsqu’elle répond à des besoins territoriaux précis. Malgré un contexte réglementaire encore en transition, la production a augmenté de 27% en 2024, avec plus de 700 sites injectant du gaz renouvelable dans les réseaux, majoritairement portés par le monde agricole.

Cette croissance s’explique par son utilité concrète : autonomie énergétique pour les agriculteurs, valorisation des déchets organiques, production de chaleur renouvelable et réduction des émissions. Les innovations comme la pyrogazéification ou la valorisation du CO₂ biogénique ne sont pas de simples expérimentations, mais des réponses techniques à des problématiques locales de gestion des ressources.

Des territoires pionniers qui montrent la voie

  • Le Grand Est : Première région française pour l’injection de biométhane, elle a su structurer une filière agricole et industrielle performante.
  • La Bretagne : La méthanisation agricole y est un pilier de l’économie circulaire et de la résilience énergétique locale.
  • L’Occitanie : Elle articule avec succès le développement du solaire, du biométhane et des réseaux de chaleur, démontrant la pertinence d’un mix énergétique territorialisé.

Portée par cette dynamique, la filière vise des objectifs ambitieux, dépassant ceux de la PPE actuelle : 60 TWh de biométhane d’ici 2030 et au moins 100 TWh en 2035. Près de 1000 projets sont en attente de raccordement, représentant un potentiel immense qui ne demande qu’un cadre réglementaire clair pour se concrétiser.

Le défi de demain : piloter un système énergétique complexe et décentralisé

Si la production d’énergie renouvelable est désormais maîtrisée, comme le montre la maturité de la filière photovoltaïque, le vrai défi des prochaines années est systémique. Il s’agit de gérer l’intermittence, de stocker l’énergie, de piloter la demande et d’éviter la congestion des réseaux.

La création par le Syndicat des Énergies Renouvelables (SER) d’une commission dédiée à la flexibilité en 2025, ou l’annonce par l’ADEME d’un Observatoire national de l’agrivoltaïsme, sont des signes forts que le secteur a identifié cette priorité. L’enjeu n’est plus de simplement ajouter des capacités de production, mais d’orchestrer intelligemment l’ensemble des flux énergétiques à l’échelle locale et nationale.

Pour une PPE qui assume la diversité et libère les initiatives

La future Programmation Pluriannuelle de l’Énergie doit acter un changement de paradigme. Son rôle n’est pas de choisir une technologie gagnante ou d’imposer un scénario uniforme, mais de :

  • Donner une visibilité à long terme pour sécuriser les investissements privés et publics.
  • Reconnaître et valoriser la diversité des solutions énergétiques adaptées à chaque territoire.
  • Structurer les coopérations entre acteurs locaux, agricoles, industriels et gestionnaires de réseau.
  • Encourager l’hybridation des solutions (solaire + stockage, méthanisation + photovoltaïque, etc.) plutôt que de les hiérarchiser.

La France possède tous les atouts : des technologies matures, un tissu entrepreneurial dynamique et une multitude de projets locaux qui font leurs preuves. La transition énergétique est une réalité de terrain. Le rôle de l’État est désormais d’accepter cette complexité fertile pour construire un cadre qui permette à cette mosaïque d’initiatives de constituer, ensemble, une souveraineté énergétique résiliente et durable. C’est en libérant l’énergie des territoires que la France retrouvera son indépendance.


Abonnez-vous maintenant à la Newsletter.
Inscription gratuite !

Commentaires

  • Il n'y a pas encore de commentaires.
Ajouter un commentaire