Nous poursuivons la publication des vidéos de la journée commémorant le 50ème anniversaire du congrès de l’UNESCO « Le soleil au service de l’Homme ». La journée s’est déroulée le 12 décembre 2023 au Collège de France.
Aujourd’hui, Frédéric CAILLE, historien du solaire au laboratoire TRIANGLE.
« Bonjour. Je suis Frédéric Caille, enseignant-chercheur en sciences politiques et cela fait un peu plus de 10 ans que je travaille sur l’histoire de l’énergie solaire. Mon objectif est de faire émerger une histoire intellectuelle et humaine encore trop méconnue. Une histoire de femmes et d’hommes, de recherches, d’installations pionnières, de projets pour un développement de société humaine respectueuse de la planète grâce à l’énergie infinie et gratuite du rayonnement solaire.
Cette histoire permet en effet de comprendre, et de faire comprendre, à un large public que le développement de l’énergie solaire et des énergies renouvelables en général ne relève pas seulement d’avancées techniques, ou technologiques, mais aussi et d’abord de choix sociaux, politiques, culturels, car nous sommes citoyens, et sujets, des carburants fossiles jusqu’au bout des ongles, que nous le sachions ou non, comme l’ont écrit Dominique Boyer et Imre Zseman, en posant les bases du courant de recherche des « energy humanities », humanités énergétique. C’est-à-dire que nous appartenons à un monde et à une civilisation moderne totalement construits et irrigués jusqu’en leur cœur par les énergies fossiles et par la folle dissipation énergétique qui les caractérise.
Travailler sur l’histoire de l’énergie solaire, c’est donc un moyen de contribuer à déconstruire mentalement, intellectuellement, et dans les imaginaires aussi cette pétro- et carbo- civilisation dont nous savons tous qu’il est désormais urgent de sortir. C’est un moyen de comprendre que des alternatives énergétiques sont possibles depuis longtemps mais que la facilité d’usage des carburants fossiles a masqué, enterré, nié, avec les conséquences climatiques que l’on sait désormais, l’intérêt et le potentiel infini des énergies de flux tels que le rayonnement solaire, le vent, le mouvement des mers, les gradients naturels de température.
Comprendre cela, c’est comprendre qu’il est possible d’agir, et que se détourner des énergies fossiles ne signifie pas retourner en arrière pour l’humanité. C’est comprendre aussi que c’est dans la société civile, dans l’enseignement, dans l’art, dans l’imaginaire, autant que dans l’innovation technologique, que doivent naître les forces qui aideront à cette bifurcation.
Le congrès de l’UNESCO de 1973, qui nous rassemble, est à cet égard exemplaire, car c’est indiscutablement, le premier grand moment de prise de conscience, de preuve scientifique et pratique au niveau mondial, de ces potentialités. Si vous regardez les communications au congrès qui sont librement accessibles sur le site de l’UNESCO, vous serez étonné de constater combien nos questionnements les plus actuels y sont déjà présents et envisagés : les villes résilientes face à la chaleur et au coût de l’énergie, la force motrice ou électrique par le solaire thermodynamique, la climatisation et la distillation solaire, l’autoconsommation, les enjeux pour l’émergence des pays des Suds, les promesses de baisse du coût du photovoltaïque etcetera, etcetera…
Mais ce moment de 1973 a des racines plus anciennes encore. Voici une image du brevet déposé par l’associé d’Augustin Mouchot, Abel Pifre, au nom de l’entreprise qu’il vient de créer, les 30 mars et 15 septembre 1883, soit 90 ans exactement avant l’ouverture du congrès de Paris. Il s’agit de la première projection technique et précise d’une centrale solaire de puissance, avec une réflexion déjà poussée sur l’adaptabilité, en termes de construction, d’encombrement, de prise au vent, et de montée en température qu’entraîne l’élargissement de taille. Abel Pifre envisage déjà de grands volumes pour la distillation ou le chauffage, de très haute pression pour la vapeur.
Il s’agit, pour ainsi dire, de la première entrée en industrialisation de l’énergie solaire. C’est en fait l’étape suivante des expérimentations et brevets d’Augustin Mouchot, qui le premier a démontré, dès les années 1870, qu’il était possible d’utiliser l’énergie solaire comme source d’énergie primaire de tous les procédés industriels, quels qu’ils soient. Qu’il était possible aussi de faire de la cuisson et de la distillation et des appareils domestiques très intéressants. Mouchot est un simple professeur, mais passionné, précurseur, et un peu soutenu par le Ministère de l’Instruction publique. Il va dépenser plus de 108000 € et se ruiner à peu près, pour établir son grand moteur solaire de l’Exposition universelle de 1878. En faisant fonctionner un moteur à vapeur de 1 kW, en produisant de la glace avec une machine à compression, en validant l’intérêt des cuiseurs et distillateurs solaires, en annonçant la production d’électricité avec des piles thermo-solaires, en annonçant la production d’hydrogène solaire par photolyse de l’eau, il va alors véritablement inventer intellectuellement, du latin « invenere », trouver, rencontrer, l’énergie solaire.
Son travail a un retentissement international et on le compare avantageusement au téléphone et au phonographe, le transport de la voix et l’enregistrement du son, les deux autres grandes innovations de l’exposition 1878, qui ont révolutionné nos manières d’être et nos modes de vie. Il m’a fallu plusieurs années, pas mal d’archives, pour redonner sa véritable dimension à cet innovateur, que l’on a souvent réduit à un simple inventeur un peu farfelu. Je remercie Daniel Lincot d’avoir bien voulu souligner dans sa préface (à mon livre, «l’invention de l’énergie solaire », ndlr) combien Augustin Mouchot a inspiré de continuateurs au siècle suivant, en dépit d’un rapport officiel d’évaluation très partial sur ses appareils. Un rapport qui annonce, écrit à juste titre Daniel Lincot, l’acharnement anti-solaire et les arguments actuels des détracteurs de cette énergie propre et libre.
En 1973, beaucoup des participants au congrès connaissent Augustin Mouchot et un grand nombre, notamment avec les difficultés de développement des pays des Suds, rêve sans doute de réparer, 100 ans plus tard, l’oubli de son travail, notamment pour les zones les plus ensoleillées de la planète. Cette page du Courrier de l’Unesco de 1974, dès son titre, résume toutes les attentes et tous les espoirs. On y voit évoquer trois précurseurs de l’énergie solaire importants que je voudrais évoquer rapidement pour finir.
Le premier est le professeur nigérien Abdou Moumouni Dioffo qui fera trois communications au congrès de 1973, et qui était déjà, depuis sa thèse, et un article fondateur en 1964, un fervent défenseur d’une énergie solaire auto-développée en Afrique et pour l’Afrique. Les chauffe-eaux solaires, qu’il fera fabriquer durant une dizaine année dans une petite usine fonctionnent encore, et l’Université de Niamey porte son nom.
Le second est Jean-Pierre Girardier. Sur le toit même de l’UNESCO en 1973 il installe en effet l’un des rares moteurs solaires performants mis au point depuis le travail de Mouchot. Jean-Pierre Girardier me dira à plusieurs reprises si vous écrivez une autre histoire il faudra commencer par Augustin Mouchot. Dans les 7 années qui vont suivre, sa petite entreprise va construire les deux plus puissantes centrales électriques au monde et être acquise par le Commissariat à l’énergie atomique, puis disparaître de l’histoire en même temps que les espoirs d’un développement industriel du solaire que portaient les participants du congrès de1973.
A 100 ans, presque jour pour jour s’est donc répété, à une échelle mondiale cette fois-ci, l’histoire de Mouchot et de Pifre. La fin d’un moment, la fin d’une fenêtre d’opportunité pour l’essor d’une filière socio-technique thermodynamique solaire, les partisans d’autres énergies, et peut-être aussi parfois, les partisans d’autres modes de conversion de l’énergie solaire, plus intéressants pour les pays des Nord, tels que le photovoltaïque, en ont décidé ainsi. Alexandre Mouthon raconte très bien tout cela dans sa thèse, soutenue récemment, au mois de juin 2023.
Reste enfin, évoqués par ces dessins, les deux architectes de la SOFRETES (Société française d’études thermiques et d’énergie solaire, ndlr), les époux Anne-Marie et Georges Alexandroff enseignants au Beaux-Arts, puis à l’École d’architecture de Paris, et pionniers français de l’architecture énergétique et bioclimatique : le village solaire au Sahara, travail de fin d’étude de Georges Alexandroff en 1968, et les nombreuses installations d’habitats, d’hôpitaux, d’exploitations agricoles, qu’ils imagineront, témoignent du projet porté dès la fin du 19e siècle, d’un développement de l’humanité appuyé sur le solaire. Et ceci avant même les avancées géniales de la filière photovoltaïque.
En résumé, 150 ans après Augustin Mouchot dont le bicentenaire de la naissance aura lieu en 2025, 50 ans après 1973, on ne peut qu’affirmer, devant le travail de tous les pionniers, et devant les urgences qui sont les nôtres, que l’énergie solaire est plus que jamais l’avenir de l’humanité. Nous sommes tous réunis ici pour y contribuer, et pour y croire. Je vous remercie »
Les participants à la conférence du Collège de France lancent un « Appel à agir ensemble » qu’ils vous invitent à signer et à faire signer.
Voici le texte de l’Appel
C’est à lire:
« L’Invention de l’énergie solaire » par Frédéric Caille
Préface de Daniel Lincot, professeur au Collège de France chaire « Energie solaire photovoltaïque et transition énergétique » 2021-2022
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